dimanche 29 janvier 2012

Quand le virtuel déborde sur notre monde (bel et bien) réel...

Les activités vidéo-ludiques étaient jusqu'à il y a encore quelques années réservées à un public très spécifique. Désormais, la demande est en constante augmentation, notamment grâce à la démocratisation des consoles, à la multiplication des party games et à un équipement des foyers en matériel informatique toujours plus poussé. C'est une tendance récente, et l'on oublie souvent que le jeu vidéo a depuis de nombreuses années maintenant, surtout depuis l'essor d'Internet, participé massivement à la mondialisation tant décriée aujourd'hui par certains de nos politiques. Aujourd'hui véritable phénomène de société, le jeu vidéo au sens large du terme a désormais une véritable répercussion sur nos vies réelles, nous, citoyens du monde, alors qu'il y a quinze ans il tentait de s'imposer comme loisir à part entière.

En effet, de plus en plus d'études sont réalisées autour de la thématique des jeux vidéos, afin de connaître leur impact social, ou leurs possibilités pédagogiques par exemple. Nous restons ici du côté des possibles valorisations de ce médium qui reste relativement nouveau dans nos usages. Au-delà du microcosme de la recherche, la présence des jeux vidéos dans nos vies nous interpellent régulièrement sur des questions de sociabilité (virtuelle et/ou réelle), d'influence des personnes fragiles (violence, identification, souvent relatées à travers des faits divers), ou encore "d'univers parallèles" (modélisation et représentation d'espaces imaginaires ou réels). Tout cela a déjà fait l'objet de brèves, d'articles ou de dossiers plus complets. Avant même la sortie des jeux, tout une nouvelle industrie s'est développée en amont. Une industrie qui employait déjà plus de 10.000 personnes en France en 2008, et dont les limites avec l'industrie du cinéma et de l'informatique s'estompent de plus en plus.

Cependant, ces chiffres très officiels ne sont que la "partie visible de l'iceberg". L'industrie du jeu vidéo est largement plus que cela, sauf que ce n'est plus du ressort des entreprises, mais des joueurs eux-mêmes. Ainsi, en avril 2011, la Banque Mondiale, par l'intermédiaire de son programme InfoDev (Information for Development Program), a notamment fait publié un rapport pointant du doigt une très importante économie souterraine à ce niveau. Celui-ci, intitulé Converting the Virtual Economy into Development Potential - Phase 1: Knowledge Map of the Virtual Economy, consacre une large place aux "Third-party Online Gaming Services", les services relatifs aux jeux vidéos hébergés sur des serveurs spécialisés et en perpétuelle évolution, même en l'absence du joueur. Les plus connus d'entre eux sont par exemple EverQuest ou World of Warcraft. C'est d'ailleurs ce dernier, rassemblant à lui seul plus d'une dizaine de millions de joueurs à travers le monde, qui a été pris en étude de cas pour illustrer le phénomène. D'une façon plus globale, le rapport comptabilise environ 121 millions d'utilisateurs des "Third-party Online Gaming Services" à travers le monde, dont entre 20 et 25%, selon les continents et les niveaux de développement des pays, feraient appel à ce que l'on peut traduire par le terme de "marché secondaire" ("secondary market" dans le rapport).

Effectivement, les jeux de cette nature offrent des services en ligne payants, souvent sous forme d'abonnement mensuel (l'exemple de World of Warcraft est ici tout-à-fait illustratif, avec un accès en ligne moyennant des cartes prépayées ou un abonnement moyen de 16,99$ par mois). Les joueurs paient en réalité la possibilité d'accéder au jeu et à son univers persistent en ligne sur les serveurs de la société Blizzard, ainsi qu'à tous les autres joueurs qui se connectent en même temps que lui (participant d'une sociabilisation en ligne), comme pour tous les "jeux en ligne massivement multijoueurs" (MMO ou MMOG pour Massively Multiplayer Online Game)... Cependant, une fois la partie commencée, celle-ci est alors sans fin, et tout est fait pour que le joueur reste le plus longtemps possible connecté en ligne, moins pour rentabiliser son abonnement que continuer de progresser en même temps que ses partenaires (voire même amis) virtuels. Ainsi, sur World of Warcraft, seuls les joueurs de même niveau peuvent former un équipe. Cela signifie qu'après un certain temps, si l'un des joueurs "décroche", il risque de ne pas autant progresser que les autres membres de son équipe et donc d'être à terme exclu de celle-ci. Pour ne pas subir cette mise à l'écart dans le jeu, qui entraîne également une mise à l'écart sociale, une "solution" existe. C'est le "marché secondaire" évoqué précédemment. Le joueur paie alors un inconnu (par le biais d'une société, un peu moins de 400$ annuels en moyenne) pour "faire vivre" son personnage quand lui n'est pas connecté, en faisant littéralement sous-traiter les actions les plus répétitives du jeu, mais indispensables à toute progression et génératrices de récompenses.

Le "marché secondaire" du jeu vidéo est donc progressivement devenu énorme, prenant de l'ampleur en même temps que "l'originel". Le rapport InfoDev l'estime à plus de 3 milliards de dollars dans le monde. Et comme pour tous les marchés non-officiels et couvrant de tels enjeux financiers, les dérives sont nombreuses. Elles sont régulièrement mises à jour par de journaux d'investigation ou de grands quotidiens ; on parle de goldfarms (littéralement fermes à or), de goldfarmers pour les opérateurs et de goldfarming pour le phénomène, le but étant de "récolter" de l'or virtuel soit directement avec le personnage du joueur, soit pour le revendre aux joueurs par le biais d'Internet sous forme de "crédits" payables en argent réel. Des heures d'enfermement pour les employés, des prisonniers même mis à contribution en Chine car leurs gardiens étaient engraissés par les intermédiaires, souvent jusqu'à ne plus rien voir sur l'écran. Une étude d'un chercheur anglais basée sur des données de 2005 - 2006 rapporte que ce phénomène employait à ce moment-là plus de 150.000 personnes, très majoritairement en Chine, pour un salaire moyen mensuel de 145$.

Alors, est-ce cela le futur du jeu vidéo ? Dans ces conditions, peut-on encore appeler cela un "jeu", qui au départ est synonyme de loisir et de divertissement ? Progressivement, des réglementations se mettent en place, essentiellement dans les pays développés. Mais le sursaut doit venir des joueurs eux-mêmes, qui alimentent constamment ce marché secondaire dans un but qui va toujours plus au-delà d'une simple recherche de l'amusement.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire